Les Causeries du lundi

Les Exils

Should I stay or should I go ?
The Clash, 1981

Est-ce un choix de partir ou n’est-ce pas plutôt toujours une nécessité ? Et dès lors, que quitte-t-on ?
Nous vivons dans un monde de flux, un monde où l’information, aussi fake soit-elle, se déplace aussi vite que la lumière. Dans un réseau de plus en plus dense de routes, sur terre, en mer, dans les airs, les hommes et les objets qu’ils fabriquent circulent, toujours plus vite, grâce au progrès de la science. Pas sans effet : « l’homme est devenu un phénomène géologique à lui tout seul 1 », le réchauffement climatique est global et l’anthropocène, en plein délire 2 et au bord de l’explosion.

Ailleurs, et pour d’autres, ce sont de bien différentes routes qu’il s’agit de prendre, des routes longues, inconfortables, dangereuses et dont la destination est souvent incertaine, tant le risque est grand d’y laisser sa vie. Et où qu’ils aillent, ces exilés ne sont jamais les bienvenus. Ces phénomènes sont les symptômes du malaise planétaire que Lacan avait pressenti, alors qu’en 1967, il mettait ses contemporains en garde contre le risque de ségrégation lié au discours du capitaliste et à sa promesse d’universel : « Notre avenir de marchés communs trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation 3 ».

La politique de la psychanalyse est d’offrir une place à l’exception et de l’accueillir avec hospitalité. Car l’exil n’est-il pas le propre de la condition de parlêtre ? Artistes, auteurs, cinéastes, tous en savent quelque chose puisque c’est de cette place d’exilés qu’ils s’expriment et parlent, face à la nécessité de créer, à l’urgence de traiter leur réel. « La jouissance est toujours une jouissance déplacée, comme on parle de personnes déplacées – (…) foncièrement exilée 4 ». Et c’est bien dans la parole qu’elle s’exile, dans le symptôme ou dans le rêve, dans l’œuvre ou le récit, qu’il soit fiction ou témoignage.
La jouissance, indique Lacan, doit être refusée (dans le réel) pour advenir (dans le langage) 5.

Pour cette nouvelle saison des Causeries, nous avons choisi Les Exils comme titre et nous ferons le pari de vous montrer qu’ils sont bien pluriels. Pour notre troisème séance, nous aurons l’honneur et le plaisir de converser avec DOMINIQUE SIGAUD autour des questions de l’exil et de la langue maternelle dans son œuvre.

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1. Dion C., in [Next], épisode 10, web-série documentaire réalisée par C. Montfort, 2017-2018, disponible sur internet, next-laserie.fr/. 2. Roïc T., « Délires dans l’anthropocène », La Cause du désir, no 98, Paris, Navarin, 2018, pp. 72-76. 3. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 257. 4. Miller J.-A., « Enfants violents », in Après l’enfance, Paris, Navarin, 2017, p. 198-199. 5. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 827.
Les Causeries et le réel de la vie s’inscrivent dans la République des lettres de Jacques-Alain Miller (lacan-universite.fr/la-movida-zadig)

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